INTERVIEW
PARUE DANS STORM N°1 (2000)
Les Jeunes Libertaires de
Toulouse sont proches de la C.N.T/A.I.T. Ils tiennent une permanence
à leur local au 7,
rue St Rémésy de 15 heures à 19 heures.
Vous pouvez commander leur excellent canard «
Il était une fois la révolution, con! »
au prix de 0,9 Euros port compris à leur adresse.
1). Bon, tout
d'abord, si vous voulez bien vous présenter: historique,
qui est aux J.L, contre quoi vous vous placez?
C'est un groupe qui
date de 1992 regroupant des gens âgés de moins
de 25 ans et qui luttent pour propager les idées
libertaires. Toute personne peut rejoindre le groupe
- de toutes classes sociales, sans discrimination de sexe ni
de race - qui a bien évidemment envie de lutter contre
cette société. Les membres sont plutôt
lycéens et étudiants (quelques-uns travaillent
aussi) mais pas d'exclusif, tout le monde peut en être
membre. On se place contre l'Etat, les patrons, la police, les
contrôleurs de bus/vigiles, etc... Contre
la hiérarchie et l'exploitation. Mais les positions
du groupe ne tiennent pas compte de certains choix nutritifs
et philosophiques (comme le végétarisme,
même si plusieurs JL sont végétariens).
2). Comment
sont organisés les J.L?
Les J.L se retrouvent
au local tous les samedi après-midi pour faire
une réunion. Il y a deux mandatés pour
le journal, un pour la trésorerie et un pour les contacts
( bien entendu, tous ces mandatés sont révocables
à tout moment s'ils ne tiennent pas compte de leurs mandats
ndlr ).
Des A.G ont lieu assez régulièrement pour
remettre en question le fonctionnement interne des J.L:
décider des actions globales à venir et changer
les mandats de façon à ce que ce ne soit pas des
"rôles définitifs". Les mandats sont
des mandats "techniques", c'est à dire que
les mandatés n'ont pas
la possibilité de prendre de décisions:
tout ce qui est décision collective
(mode d'action ou politique du groupe) est pris en commun.
Il s'agit donc d'un fonctionnement réellement
autogestionnaire où toutes les décisions
sont prises en commun.
3). Quelle
est votre implantation sur Toulouse: on vous connait bien? Etes-vous
"présents" et actifs? Quel terrain privilégiez-vous
(lycées, facs, endroits publics, manifestations,...)?
On essaie d'être
un maximum présent dans les lycées et
les facultés: on tient quand même deux
tables de presse (une à la fac de science Paul Sabatier
-ce n'est plus le cas aujourd'hui- et une à
la fac de lettres au Mirail). Mais sinon, pour l'implantation
sur Toulouse, tout dépend du nombre de militants
et d'activités qu'on peut fournir: il ne
s'agit pas de s'épuiser pendant 6 mois pour repartir
ensuite à zéro. On participe aussi à
des interventions ponctuelles sur la voie publique. Dans les
lycées, on commence à être reconnus, pareil
dans les facs, même si c'est un peu plus dur...
4). Ensuite,
quelle est votre vision de l'anarchisme?
On se rattache beaucoup
à l'anarcho-syndicalisme mais on se
positionne dans un point de vue "collectif"
car pour être révolutionnaire, il faut se la jouer
très collectif. Au sein du groupe, on a à peu
près la même vision "pratique" de l'anarchisme;
après, à la question "que serait une société
libertaire?" ou "que serait l'éducation libertaire?"
et tous un tas de trucs, on essaie d'en débattre
entre nous car on a tous notre vision des choses.
5). Quels moyens
vous donnez-vous pour arriver à ce but? Comment agissez-vous
et contre quels modes d'"actions" êtes-vous?
Nos moyens d'action sont
le journal: on édite un "trimestriel-qui-sort-tous-les-4-mois"
("Il était une fois la Révolution, con!"),
mais aussi les tractages, les tables
de presse dans les facs, des concerts parfois
(deux concerts organisés ces 2 dernières années);
on essaie aussi d'organiser des débats internes
et externes. Disons qu'on fait un travail
de propagande pour véhiculer le plus grand nombre
d'idées possibles, sans perdre de vue le côté
"pratique" de la chose. Il y a un minimum
de tentative d'organisation et de fonctionnement "libertaire".
En ce qui concerne le
journal, quand on a un premier contact avec les gens, on le
leur donne parcequ'à chaque numéro, il y a une
vision assez large de ce qu'on pense...
On se place contre :
- le terrorisme : le problème
fondamental avec ce mode d’action , c’est que c’est quelque
chose qui est complètement coupé de la
population, c’est à dire que c’est une action
gratuite qui fait certainement bien plaisir aux militants de
ce genre de mouvement, mais qui n’a pas d’impact autre
qu’un impact négatif. De plus, la plupart du
temps, le terrorisme est non-ciblé,
et complètement ingérable par la base.
Or, quand on voit l’histoire du mouvement libertaire, on remarque
que c’est quelque chose qui a été extrêmement
manipulé du fait de la clandestinité,
et c’est pour cela qu’à chaque fois qu’on a voulu casser
un mouvement libertaire, on y est parvenu en lui foutant sur
le dos des histoires de terrorisme, avérées ou
pas. Dans notre société, si on fait quelque chose
de ce genre, on se fera descendre et tout ce qu’on aura fait
n’aura servi à rien.
- la pseudo-radicalité
: par exemple, à la fin des manifs, quand 300
gonzes balancent des cocktails molotov... Et finalement, ce
dont on se rend compte avec un minimum d’expérience,
c’est que ceux qui lancent des coktails molotov ou qui vont
s’amuser à se battre contre les keufs sont rarement des
militants : les personnes se font pousser par certains militants
qui se mettront ensuite en retrait ; ils les chauffent mais
ne passent pas eux-mêmes à l’action.
Et après, le plus souvent, il n’y a aucun suivi
juridique pour ceux qui se sont fait arrêter.
Donc, ça ne sert qu’à se faire embrouiller par
les flics, et de plus, c'est aussi coupé de la
base : c’est pas allant se friter avec les keufs qu’on
sera gagnant, c’est l’action de masse seule qui est
gagnante contre tout ça. Par là, nous
sommes contre cette pseudo-“ radicalité ”, même
quand il y a des gens qui font des affiches du style “ un keuf
= une balle ”... On a du mal à percevoir à quoi
ça sert. On se situe sur un niveau beaucoup plus social
-une organisation collective- car c’est la seule façon
de renverser quoi que ce soit.
- l’activisme
: l’écueil où il ne font pas non plus tomber,
c’est l’activisme, qui a les mêmes inconvénients
que le terrorisme même s’il est moins violent. L’activisme,
c’est de présenter partout, dans toutes les manifestations,
dans tous les mouvements où on peut intervenir, dans
toutes les actions bien médiatisées,...
Or, c’est le meilleur moyen de “ s’épuiser ”
sur des impacts qui sont très limités,
genre les collages d’affiches, tout le temps des manifs, etc...
Et puis, ça fait aussi un matraquage idéologique.
Le but est de toucher les gens et pas de se faire plaisir. Après,
théoriquement, on a plus le temps de débattre
ensemble de certains points ; bien souvent, on se rend compte
que les groupes ultra-activistes ne restent pas longtemps :
ils explosent.
6). Il y a
eu une scission entre la C.N.T-Vignoles et la C.N.T/A.I.T :
pourquoi une telle scission ?
[Cette question ne
traite pas à proprement parler des JL, mais nous l'avons
laissée car elle nous semblait importante: il s'agit
de distinguer la CNT de Paris (dite des "Vignoles"
car siégeant rue des vignoles) et celle de Toulouse (CNT-AIT).
En effet, cette analyse est rarement relayée; or il est
bon de disposer de toutes les infos nécessaires lorsqu'on
milite dans une orga. Trop peu de militants de la CNT Vignoles
ont connaissance des agissements de leur syndicat].
La scission a eu lieu
en 1993, essentiellement avec d’un côté, le groupe
qui était à Paris et à Lyon, et d’un autre
côté, les syndicats du Sud de la CNT-AIT. C’est
une scission qui a eu lieu avec des gens “ malhonnêtes
” dans le sens où le but de ces gens-là était
de reprendre l’image que véhiculait la C.N.T
mais d’en gommer tous les aspects pratiques, théoriques
et en définitive, de ce qui est l’essence même
de la C.N.T, pour uniquement en garder l’image.
Ils pensaient en fait pouvoir y gagner quelque chose parcequ’à
l’époque, il y avait une certaine "décomposition
syndicale" qui se faisait (il ne faut pas oublier que la
C.N.T est un syndicat) et ils espéraient qu’en gommant
un peu l’étiquette anarcho-syndicaliste mais en gardant
l’image de la C.N.T, ils pourraient réussir à
gagner sur tous les tableaux : c’est à dire qu’ils
espéraient que la recomposition syndicale se fasse par
eux... Dans ce sens, nous pensons que ces gens ont
été malhonnêtes.
Ne serait-ce que parcequ'ils
véhiculent une idéologie ( de temps en
temps et pas toujours la même suivant
les personnes qu'ils rencontrent) mais
ils ne l'apliquent absolument pas: la C.N.T Vignoles
est une organisation hierarchisée et
c'est Paris qui prend toutes les décisions. De toute
façon, ce dont on se rend compte à court terme,
et avec un minimum de recul, c'est que les Vignoles ont un mode
de fonctionnement hyper-syndicaliste à donf, donc ils
ont vachement rompu avec l'anarcho-syndicalisme et avec le projet
de société -ils l'ont même dit dans les
médias- et après, ils essaient de médiatiser
à fond tout ce qu'ils font, dans le même
style que la Confédération Paysanne et ce genre
de groupes. Ce qu'ils font maintenant n'est donc plus trop interessant.
Le problème, c'est
qu'il y a des gens qui ont entendu parler de la C.N.T, mais
qui tombent dans les Vignoles parceque leur situation géographique
fait qu'ils y sont et que ces militants de base, même
s'ils sont sincères, ne se rendent pas compte de la réalité...
Si les militants grattent un peu le vernis de cette organisation...
ils finissent par la quitter! On a un exemple à
la CNT/AIT, un syndicat (celui de Rouen) qui était membre
des Vignoles et qui, en creusant un peu, s'est finalement rendu
compte que ce qu'affichait les Vignoles n'était pas appliqué
car c'est une organisation hiérarchique et syndicaliste
comme une autre... Ca n'a aucun interêt, quoi...
7). Quelles
erreurs du mouvement libertaire voudriez-vous dénoncer?
Il y en a deux:
- ceux qui sortent du mouvement
social, qui sont en dehors, et qui font de la théorie
pour de la théorie: ils se vivent comme des gardiens
du temple et comme des doctrinaires de l'anarchisme,
mais en fait l'action est nulle. C'est à dire
qu'il n'y a pas de volonté d'aller vers les gens (ça
peut être représenté par le courant actuel
de la Fédération Anarchiste).
- l'activisme gauchisant qui peut
être représenté par le SCALP (donc
des gens qui se revendiquent libertaires): le problème
fondamental est que si la majorité des groupes "libertaires"
affichent la démocratie directe, l'autogestion et tout
le reste, ils ne la pratiquent pas dans les faits...
Et ça, c'est pas normal: on peut pas aller vers les gens
en professant une idéologie et faire exactement
le contraire dans son propre groupe.
Il y a aussi des errements de stratégie très forts,
genre la plupart des gens qui sont à la FA (Fédération
Anarchiste) sont dans des syndicats cogestionnaires
style C.F.D.T, C.G.T, SUD et j'en passe et des meilleures. Il
ya aussi des alliances internationales douteuses,
genre la FA qui s'allie avec la C.G.T Espagnole qui syndique
les flics et les matons alors qu'ils se revendiquent anarcho-syndicalistes!
8). Comment
vous financez-vous?
D'abord, il y a les cotisations
mensuelles qui sont la principale source de revenus
(1,5 Euros par personne). Après, il y a la vente
des brochures et des journaux. Et puis, ces deux dernières
années, on a fait des concerts de soutien.
Cet argent est utilisé par exemple dans le cas où
l'on fait des tracts et qu'on nous renvoie le bas du tract (pour
une demande de renseignements sur le groupe ndlr), on envoie
trois numéros de notre journal gratuits
sans rien demander; donc à force, on a un petit listing
de contact qu'on essaie de relancer par exemple avec les débats
et tout ça... En tout cas, on le garde pas pour nous
l'argent!
9).
Vous occupez-vous de luttes "parallèles" (sexisme,
guerres, homophobie, nucléaire...)?
On ne considère
pas ces luttes comme des luttes parallèles:
en fait le sexisme, les guerres... sont des conséquences
de la société actuelle et comme nous luttons
contre cette société, on lutte aussi contre ça,
mais on l'intègre dans notre réflexion, on ne
fait pas ça de manière fragmentaire.
C'est à dire que
quand on lutte contre l'homophobie, ça a une signification
dans notre combat contre cette société. En fait,
c'est pas uniquement de dire: "ben, l'homophobie, c'est
pas bien, on va lutter contre ça", c'est plutôt
de dénoncer la religion (qui est le pilier fondamental
de l'autoritarisme et de cette société) qui véhicule
ce genre d'idées intolérantes. On remarque donc
que dans toutes ces idéologies foireuses, c'est vachement
le jeu du pouvoir (et c'est bien entretenu) qui vise
à une division très forte.
Si tu veux, c'est aussi
la même chose quand on attaque sur quelque chose d'antifasciste,
on prend aussi soin dans un tract d'expliquer que le fascisme,
c'est pas là par hasard, que c'est une
conséquence de notre société, qu'il y a
certaines personnes au sein de la classe politique qui l'entretiennent
bien ce fascisme car il fait leurs voeux. Donc on prend aussi
soin d'expliquer que le fascisme, c'est pas le problème
fondamental: oui, c'est un problème, mais c'est
une conséquence, c'est pas la cause de tous les problèmes.
Et le sexisme, ça relève de la même démarche.
Toute notre propagande
sur ces luttes que tu nommes parallèle justement, c'est
de les relier en fait avec la société... et
ne pas en faire un point de fixation comme ça.
10).
Avez-vous quelque chose à rajouter?
Oui, nous serons ravis
de vous rencontrer lors de nos permanences/réunions tous
les samedis aprés-midi pour pouvoir discuter, débattre
et pourquoi pas, rejoindre le groupe.