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INTERVIEW PARUE DANS INERTIE N°2 (2003)




1). Une petite présentation du groupe, des actions...

Les Jeunes Libertaires sont un groupe de militants anarcho-syndicalistes, créé en 1992 par des jeunes de la CNT-AIT (Confédération Nationale du Travail, section française de l’Association Internationale des Travailleurs), avec laquelle nous partageons les principes politiques. Notre structure est totalement indépendante pour la prise de décisions, la trésorie, les actions et la gestion du fonctionnement interne. Nous avons collectivement décidé d'une limite d'âge fixée à 25 ans.

Les membres reconnaissent les principes suivants : autogestion, fédéralisme, antiélectoralisme, antiétatisme, solidarité de classe et solidarité internationale, écologie, anti-autoritarisme (c’est à dire contre toutes les dictatures, y compris celle du prolétariat)…

Notre fonctionnement est basé sur les principes libertaires, c’est à dire que toutes les décisions sont prises lors de réunions hebdomadaires, ouvertes à tous, où chacun participe à l’élaboration du journal, d’actions... Le contrôle de chaque militant sur cette structure et ses réalisations est un élément fondamental à la démocratie directe, à l’élaboration de l’autogestion. Ces termes à la mode ne doivent pas être vidés de leur sens pour n’en garder que l’image qu’ils pourraient évoquer. Ainsi, pour l’élaboration des différentes activités, tout est débattu en commun au cours des réunions. Cela a plusieurs avantages. La discussion permet de confronter diverses opinions, d’élargir un débat où chacun peut amener d’autres points de vue, et finalement de contribuer à un équilibre au sein du groupe. Cet équilibre est l’un des moyens d’éviter la hiérarchisation, la prise du pouvoir ou la " spécialisation " dans certains domaines. Les pratiques sont les fondements de tout développement et ne doivent pas être oubliés au prix " d’éfficacité, de rapidité… "

Le but des JL est de diffuser les idées libertaires et pratiquer entre nous l'autogestion, la démocratie directe afin que chaque individu ait sa place dans le débat (et pas seulement en théorie).

Des assemblées générales dont les dates sont fixés par les adhérents se tiennent pour gérer les affaires non courantes des J.L. C’est l’occasion de faire des bilans d’activités, d’en tirer collectivement les conclusions et de décider des grandes orientations des J.L. pour les mois à venir. L’ordre du jour est ouvert et n’importe quel adhérent peut y apporter ses points.

Nous mettons en pratique le principe des mandatés révoquables à tout moment, toute tâche à effectuer pour le groupe pouvant être contrôlée par le groupe, et devant faire l’objet d’un compte-rendu. Ce principe permet la participation active de chacun, évitant la supériorité d’un chef. Seuls les crétins commandent, seuls les fous obéissent. Le pouvoir appartient donc à l’assemblée, une décision n’emportant pas une large adhésion, même si elle est majoritaire, n’est que rarement appliquée. Les mandats sont donnés pendant les AG ou les réunions. Ils concernent le fonctionnement du groupe. Il existe un mandat pour le trésorier, secrétariat-contacts et uu mandat journal. Les autres tâches sont faites collectivement.

La liberté d’expression n’est totale que lorsqu’on se donne ses propres moyens de financement. En ce sens que nous ne traitons avec les forces répressives représentant l’État pour leur demander des subventions. Seules nos cotisations (1,5 Euros francs par mois est l’habitude, mais cela varie en fonction des moyens de chacun) et les ventes et les abonnements au journal nous permettent de financer nos travaux.

Nos activités sont variées : au cours de l'année, il y a bien sûr la conception de notre journal « Il était une fois la révolution, con ! », mais aussi des tractages (surtout devant les lycées), les collages d'affiches. puis des actions spéciales, comme lors des élections où on fait des sorties communes avec la CNT, ou encore à la fac, dans les manifs...

 

2). Quels liens avez-vous avec la CNT? Est-ce que c’est un peu comme une sorte de JCR (Jeunesses Communistes Révolutionnaires) « libertaire » ? Je veux dire « faire comme les grands, coller leurs affiches, cours de révolution prolétarienne… »?

Notre structure est totalement indépendante, que se soit pour la prise de décisions, la trésorerie, la gestion du fonctionnement interne, les actions... En fait, les liens sont plus historiques, affinitaires et politiques, car on ne constitue pas un "futur bastion de la CNT" à proprement parler.
Certains font le lien avec la CNT et envisagent d'y militer (après avoir quitté les JL à 25 ans), d'autres non.

Nous partageons le même local: la "cohabitation" y est des plus sympathique (la CNT/AIT Toulouse est très vivante et fort chaleureuse), ils nous conseillent lorsqu'on leur demande un coup de main car ils ont pas mal d'expérience militante derrière eux; en fin de compte, nous sommes largement autonomes tout en ayant l'atout de pouvoir bénéficier de conseils pratiques et judicieux lorsqu'on désire un renseignement.

Nous créeons notre propre matériel militant, que se soit nos nombreuses affiches, les tracts qu'on rédige tous ensemble, les brochures écrites par les JL, le site… Bref, il y a une distinction pratique claire entre la CNT et les JL, mais non une différence politique, car nous nous retrouvons très souvent dans le discours CéNéTiste.

Le but des JL n'est pas d'être des larbins de la CNT, en ce sens que notre objectif est plus l'apprentissage par lui-même du militantisme, afin de se faire une idée de ce que cela représente et pourquoi pas continuer par la suite. Nous ne sommes pas non plus noyés dans un milieu de militants aguerris, à la différence des groupes qui reçoivent leurs tracts tous prêts de Paris et le distribuent souvent sans même l'avoir lu!

C'est en ce sens que nous n'avons rien à voir avec les JCR, qui ne sont rien d'autre que les futurs militants politiciens LCR, formés à un discours unique, dont le but suprême est de porter "leur" candidat au pouvoir. Nous ne suivons pas bêtement nos aînés: si quelque chose nous déplaît, rien n'empêche une séparation...

 


3). Que pensez vous de cette phrase tiré du film Le Pornographe : "En Mai 68 les gens se battaient pour l'abolition du salariat, aujourd'hui pour le plein emploi"?

Aujourd'hui l'emploi c'est le terme sacré, tout est sacrifié sur l'autel du travail. On fait croire aux gens que sans leur boulot, ils ne sont rien. La peur du chômage permet d'imposer des conditions de travail ignobles. Les syndicats sont totalement complices de cette situation: par exemple on a pu voir les défilés après l’explosion d’AZF, les travailleurs qui défilaient aux côtés de leurs patrons pour le maintien de l'emploi, ces mêmes patrons qui sont responsables de la mort de leur collègues, qui les exploitaient totalement (la majorité des tués étaient intérimaires...) et qui les ont laissé tomber quand la justice s'en est mêlée.

Si certaines personnes arrivent à vivre heureux sans emploi, ceux-ci sont considérés comme des parias, des parasites. Si vous êtes pour la fermeture d'une usine dangereuse, ou qui fabrique des armes, ou contre un labo qui pratique la torture sur des animaux ou ce genre de chose, l'argument ultime sera toujours : « vous allez sacrifier des emplois ». Même ceux qui font les travaux les plus dégueux (militaires, matons, flics...) on les excuse car "il faut bien nourrir sa famille".

En mai 68 il y a eu une prise de conscience assez importante qui a fait que les travailleurs ont sû se battre de façon intelligente, contre les vrais ennemis ; le sacro saint emploi a été dénoncé en tant que tel, c'est à dire comme une aliénation de l'individu (ndlr : et c'est pas pour rien que les syndicats ont eut peur de se faire déborder par leur base et ont tenté d'encadrer le mouvement pour pas que ça aille trop loin... un peu comme dans tous les mouvements sociaux, les syndicats sont bel et bien des gestionnaires de la crise, qui n'ont aucun intérêt à ce que les exploités s'organisent par eux même et aillent trop loin dans leurs critiques). Et ce n'est pas pour rien que des avancées si importantes ont été obtenues. Après ça aurait pu aller beaucoup plus loin mais on va pas refaire mai 68.

Pour finir, il est important de distinguer emploi/travail « salarié » et travail. Dans une société libertaire, y aura toujours du "travail", mais pas d'emplois car plus d'employé ni d'employeurs.

 

4). N'est-il pas dommage de voir toutes les guéguerres qui minent le milieu anarchiste? Dissensions justifiées ou exagérées?

Il existe des "guéguerres" anecdotiques entre individus de divers groupes, qui ne sont que des conflits de personnes; celles-ci ne sont pas constructives. Mais en période de lutte, elles sont reléguées au second plan. On n'est pas anarchiste pour se foutre sur la gueule, mais on reste des êtres humains.

Si ce que tu appelles "guégueres" sont les nuances, les différences, voire les oppositions sur les principes fondamentaux de l'anarchisme, il ne s'agit pas là de simple broutilles. Etre anarchiste ne signifie pas envoyer au diable tous les principes, ou plutôt, tout ce qui fait que l'on est cohérant, tant dans son analyse de la société que dans ses actions.

Tu écris "qui minent le milieu anarchiste", mais les querelles de chapelle ne se retrouvent-elles pas dans tous les milieux militants?

Dès qu'on défend une cause, donc qu'il s'agit de quelque chose qui nous engage complètement, il est inévitable de composer avec des gens qui ont des points de vue différents ou des moyens d'actions différents. Parce que tout n'est pas blanc ou noir et que le consensus parfait ne peut être qu'illusoire, voir doctrinaire. En effet, à quoi riment une analyse figée et des moyens d'actions incontestés parce que rassembleurs?

Cela fait penser à un Parti Communiste moscovite d'il y a quelques années, non? Nous refusons de faire unité avec des gens qui ne sont pas révolutionnaires, cette intégrité nous étant reprochée parfois comme étant du dogmatisme. On pourrait se dire "l'union fait la force". Vite vite, unissons nous, faisons fi de nos différences pour remporter plus vite la victoire contre les oppresseurs. Mais quand bien même ce serait si facile, cela suffirait-il à amener la révolution?

Nous ajouterons que s'il existe autant de groupuscules anarchistes, ce n'est pas tant parce qu'on n'est pas d'accord entre nous, mais car les anarchistes s'auto-organisent localement et qu'ils créent des groupes anarchistes, sans forcément s'opposer à d'autres.

 

5). Pensez vous que l'école doit être un lieu, comme à présent, en dehors de la société, où la politique est bannie? Ou au contraire, un endroit d'expression libre? Car si on nous dit que c'est l'endroit pour apprendre à penser, n'est-il pas étrange de constater que tout discours réellement contestataire est banni?

Bonne observation. C'est vrai qu'il y a une contradiction entre "apprendre à penser" et l'apprentissage consensuel programmé par l'Education Nationale.

Bien sûr, personne n'avouera que l'école, telle qu'on la connaît aujourd'hui, n'est pas un lieu d'expression libre. On connaît assez le discours enjoliveur sur l'ouverture d'esprit, la tolérance et l'absence de discrimination, dont l'école est censée être à l'origine. Il serait faux de prétendre que certains enseignants n'oeuvrent pas dans ce sens, d'ailleurs. Mais ils ont l'obligation de faire apprendre un programme préconçu par l'Etat qui enseigne des valeurs républicaines et apprend à être un bon petit citoyen patriote et docile (éducation civique et histoire).

Par ailleurs, l'école est aussi un lieu où l'on apprend à fermer sa gueule devant l'autorité (le prof) ainsi que la compétition (examens, notes, humiliations pour ceux qui n'y arrivent pas). Pas de subversif. C'est interdit. On sait bien que l'enfance et l'adolescence sont des périodes de la vie où l'on est très influençable et où l'on forme son esprit. Alors, sous couvert de laïcité, on s'en tient à la version officielle, et pas de débat trop poussé de la part de l'enseignant, qui pourrait être accusé de faire de la propagande.

 

6). Aux manifs anti-Le Pen, c'était certes bien de voir la réaction positive spontanée des jeunes. Mais que pensez vous avec le recul de cet engagement qui est largement resté dans le cadre "Votez Chirac. Abstention = faire le jeu de Le Pen"?

"C'était certes bien de voir la réaction positive spontanée des jeunes" : ton affirmation est très contestable. Est ce que l'on doit nécessairement se réjouir dès que des jeunes défilent dans la rue? (ndlr: ai-je dis ça? En l'occurrence ça me semblait plutôt positif de voir affirmé le refus d'un racisme, même si ce rejet était complètement primaire et débouche directement sur le racisme républicain, complètement accepté celui-là…).

Il ne faut pas négliger la part de manipulation et de conditionnement des esprits. Aujourd’hui ces mêmes jeunes qui trouvent le racisme scandaleux acceptent un gouvernement qui applique tous les jours une politique raciste qui expulse les sans papiers, lois sur l'immigration, etc. (cette politique était déjà pratiquée par le Parti Socialiste. Est ce que les jeunes sont contre ça?) Une minorité de personnes se sont rendues compte de l'absurdité du système de la démocratie représentative, dans lequel nous vivons. « Le Pen ou Chirac : pourquoi je me retrouve devant un tel choix? ».

"Le racisme, c'est pas beau", c'est la seule chose que les jeunes aient compris, avec la diabolisation du chef symbolique du racisme en France : Le Pen.

Ca n'a rien de très encourageant quant à la lutte de classe. Lorsque tout le monde se range derrière Chirac, on ne peut pas voir là un symptôme pré-révolutionnaire.

On pourrait même dire que si les jeunes ont retenu une leçon le 21 avril, c'est que finalement le capitalisme c'est pas si mal, puisqu'on pourrait avoir pire : le fascisme. C'est la politique du "moins pire", avec comme tu l'écris "Abstention = faire le jeu de Le Pen". Donc on n'en sort pas. Il ne faut surtout pas remettre en cause les sacro saintes élections, qui nous démontrent pourtant la stérilité du système de démocratie représentative (hormis pour la classe dirigeante bien sûr).

D'ailleurs, qu'en est il aujourd’hui de ce "sursaut démocratique" (pour reprendre les termes médiatiques)?

Et bien dormez tranquille, braves gens. Rien n'a changé. Chirac est toujours là. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

7). Comment vous situez-vous par rapport aux syndicats étudiants?

Les syndicats étudiants nous posent un problème par leur fonctionnement : pour avoir un local au sein de l'université, il faut en effet se présenter aux élections organisées par la Fac, ce que en tant qu'anarchistes, nous refusons.

De plus les syndicats étudiants ne sont souvent qu'une fabrique à jeune politiciens (l'UNEF qui file le parfait amour avec le PS, l'UNI avec l'UMP voire l’extrême droite (ndlr : n'oublions pas que l'Uni tente depuis quelques années de se refaire une image républicaine après avoir été un syndicat affilié à l'extrême droite et ses diverses composantes) ou un repaire de gauchistes mous / staliniens / trotskistes (SUD, AGET-SE). Quand il y a des grèves, des mouvements à la Fac, leur rôle consiste à les encadrer, à empêcher que cela devienne trop radical. Le pire c'est qu'il y a des gens sincères là dedans comme certains anars de l'Aget, qui pensent vraiment aider la lutte anarchiste par leur militantisme en étant "là où ça bouge". En résumé, nous ne nous préoccupons pas beaucoup des syndicats étudiants, on les laisse faire leurs magouilles / guéguerres entre eux. Il n’y a que quand ils veulent nous empêcher de distribuer des tracts que nous nous rappelons à leur bon souvenir. (cf l'article "censure gauchiste" dans le JL n°29)

 

8). A vous le dernier mot.

Tout d'abord, merci à toi pour cet interview.

Nous invitons de plus les lecteurs (oui, toi) à venir nous rencontrer au local, à faire un tour sur le site, à se bouger dans son coin afin de créer une dynamique libertaire et pourquoi pas prendre contact avec nous pour des échanges de presse, d'infos, de conseils...


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