INTERVIEW
PARUE DANS ANARCHY TEEN N°2 (2004)
Cette
interview a été réalisée collectivement,
ce qui signifie qu’elle engage le groupe dans son ensemble.
Chaque réponse a été débattue, modifiée,
discutée afin d’arriver à un compromis. Nous pensons
qu’il est essentiel de procéder de la sorte afin de mettre
en pratique les principes autogestionnaires, et que ces mots
ne restent pas que des mots…
1). Les Jeunes Libertaires
(JL) sont-ils une véritable asso ou juste un groupe ?
Quand les JL ont-ils été créés ?
Les
Jeunes Libertaires sont un groupe de militants anarcho-syndicalistes,
créé en 1992 par des jeunes de la CNT-AIT (Confédération
Nationale du Travail, section française de l’Association
Internationale des Travailleurs), avec laquelle nous partageons
les principes politiques. Notre structure est totalement
indépendante pour la prise de décisions, la trésorie,
les actions et la gestion du fonctionnement interne. Nous
avons collectivement décidé d'une limite
d'âge fixée à 25 ans.
Les
membres reconnaissent les principes suivants : autogestion,
fédéralisme, antiélectoralisme, antiétatisme,
solidarité de classe et solidarité internationale,
écologie, anti-autoritarisme (c’est à dire
contre toutes les dictatures, y compris celle du prolétariat)…
Notre
fonctionnement est basé sur les principes libertaires,
c’est à dire que toutes
les décisions sont prises lors de réunions
hebdomadaires, ouvertes à tous, où
chacun participe à l’élaboration du journal,
d’actions... Le contrôle de chaque militant sur cette
structure et ses réalisations est un élément
fondamental à la démocratie directe, à
l’élaboration de l’autogestion. Ces termes à la
mode ne doivent pas être vidés de leur sens pour
n’en garder que l’image qu’ils pourraient évoquer. Ainsi,
pour l’élaboration des différentes activités,
tout est débattu en commun
au cours des réunions. Cela
a plusieurs avantages. La discussion permet de confronter diverses
opinions, d’élargir un débat où chacun
peut amener d’autres points de vue, et finalement de contribuer
à un équilibre au sein du groupe. Cet équilibre
est l’un des moyens d’éviter la hiérarchisation,
la prise du pouvoir ou la " spécialisation "
dans certains domaines. Les pratiques sont les fondements de
tout développement et ne doivent pas être oubliés
au prix " d’éfficacité, de rapidité…
"
Le but des JL est de
diffuser les idées libertaires
et pratiquer entre nous
l'autogestion, la démocratie directe afin que
chaque individu ait sa place dans le débat (et
pas seulement en théorie).
Des
assemblées générales dont les
dates sont fixés par les adhérents se tiennent
pour gérer les affaires non courantes des J.L. C’est
l’occasion de faire des bilans d’activités, d’en tirer
collectivement les conclusions et de décider des grandes
orientations des J.L. pour les mois à venir. L’ordre
du jour est ouvert et n’importe quel adhérent peut y
apporter ses points.
Nous
mettons en pratique le principe des mandatés
révoquables à tout moment, toute
tâche à effectuer pour le groupe pouvant être
contrôlée par le groupe, et devant faire l’objet
d’un compte-rendu. Ce principe permet la participation
active de chacun, évitant la supériorité
d’un chef. Seuls les crétins commandent, seuls les
fous obéissent. Le pouvoir appartient donc à
l’assemblée, une décision n’emportant pas une
large adhésion, même si elle est majoritaire, n’est
que rarement appliquée. Les mandats sont donnés
pendant les AG ou les réunions. Ils concernent le fonctionnement
du groupe. Il existe un mandat pour le trésorier, secrétariat-contacts
et uu mandat journal. Les autres tâches sont faites collectivement.
La
liberté d’expression n’est totale que lorsqu’on se donne
ses propres moyens de financement. En ce sens que nous
ne traitons avec les forces répressives représentant
l’État pour leur demander des subventions. Seules
nos cotisations (1,5 Euros francs par mois est l’habitude, mais
cela varie en fonction des moyens de chacun) et les ventes et
les abonnements au journal nous permettent de financer nos travaux.
Nos activités
sont variées : au cours de l'année, il y a bien
sûr la conception de notre journal «
Il était une fois la révolution, con ! »,
mais aussi des tractages (surtout devant les
lycées), les collages d'affiches. puis
des actions spéciales, comme lors des
élections où on fait des sorties communes avec
la CNT, ou encore à la fac, dans les manifs...
2). Pourquoi
avez-vous décidé de créer ce groupe de
libertaires ?
Le groupe répond à une volonté de s’organiser
entres jeunes (moins de 25 ans) afin de :
• diffuser les idées libertaires dans
la société,
• favoriser la politisation et la prise de conscience
des individus,
• acquérir une certaine habitude et
une familiarisation avec le mode de fonctionnement
que l’on préconise (autogestion, rotation des tâches
pour éviter la spécialisation, partage des savoirs)…
• Mais surtout, nous oeuvrons pour que l’idée
révolutionnaire se propage le plus possible,
afin que les individus se rendent compte qu’il est réellement
possible de s’organiser sans chef.
Les JL n’auront donc plus lieu d’exister une fois la révolution
accompli car ils n’ont en AUCUN
CAS la sottise de vouloir jouer le rôle d’une quelconque
avant-garde ( à la manière des marxistes-léninistes
: « nous, on sait ce qui est bon pour vous, on va vous
diriger »).
3). Est-ce
que l'anarchie signifie le bordel ? N'est-ce pas trop radical
comme changement de société?
Le mot anarchie, à
la différence d’anomie qui signifie absence d’ordre,
signifie absence de pouvoir. En aucun cas le
but des anarchistes est d’instaurer un bordel général
(d’ailleurs, l’anarchie ne s’instaure pas). Notre but n'est
pas non plus de revenir aux temps préhistoriques.
L’anarchie est un système
politique précis et organisé, reposant sur des
bases telle la démocratie directe, la solidarité,
l’anationalisme (absence de frontières, de nations),
la répartition des tâches, les mandats
révocables… Et tout un tas de choses que l’on
organise spontanément lorsqu’il s’agit de vivre par soi-même.
Certes, quand on pense
« absence d’autorité » dans une société
comme la nôtre, on pense immédiatement "désordre"
et "loi du plus fort". C’est oublier que les anars
ne souhaitent pas prendre le pouvoir et supprimer l’autorité,
non, ils souhaitent que le peuple
par lui-même se libère de toute oppression et construise
par lui-même ce système sans dominant, ni dominés.
Bref, un système anarchiste ne être assimilé
au chaos et ne se construit pas du jour au lendemain par la
volonté d’un despote.
Non, nous ne pensons pas que l’anarchie est trop radicale, sinon
nous militerions dans une quelconque organisation citoyenniste
qui tente de construire un capitalisme à visage humain.
Nous souhaitons une rupture radicale
avec ce système car selon nous celui-ci peut
être aménagé, rendu moins sévère
etc,... il n’en restera pas moins inégalitaire, violent,
liberticide. Il ne faut pas oublier que le capitalisme
repose par essence sur la domination d’une minorité sur
une majorité : patrons sur travailleurs, occident
sur le reste du monde… Ce système
ne peut en aucun cas apporter le bonheur et la liberté
à chacun.
Et comme nous estimons que le
communisme n’est qu’un capitalisme d’état, avec toujours
des dominants et des dominés, seule l’anarchie
reste le modèle de société qui prend en
compte chaque individu.
Enfin, pour finir de répondre à cette question,
nous pensons, et l’expérience nous l’a prouvé,
que seul un combat radical est efficace. A partir du
moment où on commence à faire des concessions
dans nos idées ou nos pratiques, on se fait peu à
peu bouffer et récupérer. Il suffit par
exemple de voir actuellement en France comme des acquis sociaux
qui semblaient inébranlables disparaissent au fur et
à mesure.
Pour conclure, nous te dirons donc que le choix de l’anarchisme
et de la radicalité repose avant tout sur un soucis d’efficacité
dans nos luttes : nous n’avons pas envie de nous battre pour
rien.
4). Si l’anarchie se faisait,
qu’aimeriez vous changer (ou garder) dans le système
?
L’anarchisme est, dans
le système actuel, une forme de pensée, un principe
théorique si l’on veut. Il est très simple et
radical à la fois, car il consiste à vouloir vivre
sans chef, ni état, ni religion, ni argent etc.…
La question serai de savoir comment il s’opérationnalise.
On peut dire que l’anarchisme s’applique par le principe
d’autogestion. C’est donc un changement radical, une
rupture avec le système actuel.
Nous voulons détruire ce système,
tout simplement, car il est fondé sur le pouvoir. C’est
par un changement de mentalité
et une remise en question permanente que l’on établira
de nouveaux rapports entre les individus, de nouvelles
pédagogies…
La révolution ne pourra alors se faire que quand la population
le désirera.
Ce que l’on gardera de ce système ? Tout ce qui ne nuit
pas à l’individu, à l’écologie, c’est à
dire pas grand chose…
5). Quels sont vos mouvements
? Vos actions ?
Les jeunes libertaires
est le nom d’un groupe indépendant, de jeunes de moins
de 25 ans. Il se reconnaît dans les principes
de l’anarchisme et dans les éléments théoriques
de la CNT AIT (de l’anarcho-syndicalisme). Il existe
plusieurs groupes de jeunes libertaires en France (Paris,
Bordeaux) et en Espagne.
Du fait de notre petite taille, nous faisons en fonction de
nos capacités. Vu que le groupe a une grande ouverture
(n’importe qui peut venir et participer ou simplement regarder
et réfléchir…), les mouvements et actions
peuvent varier.
Nous sommes avant tout un groupe de réflexion
qui établit et fait mûrir une base idéologique.
Il y a une part de publication avec le journal,
les brochures, tracts, affiches… Une part de débat
instantanés ou thématiques organisés spécifiquement,
ouverts à l’exterieur. Et une part musicale
: nous avons réalisé une compilation k7 et cd…
Nous tenons des tables de presses, nous tractons,
collons… Le principe étant de diffuser
un maximum qu’« un autre futur est possible ».
6). Qui sont les plus
grands obstacles à l’anarchie ?
Evidemment, si on veut construire une société
sans domination, il faut que les mentalités évoluent.
Il n’y aura pas de changement si certains décident de
supprimer chef et argent, et que les autres sont obligés
de suivre !
Qui, aujourd’hui, sont ces gens qui « se moquent bien
de l’anarchie et soutiennent les politiques » ? On peut
dire qu’il s’agit là d’une pensée répandue,
tant dans les classes moyennes supérieures que dans les
cités.
Les uns, par confort, les autres, pour « s’en sortir ».
Or, toutes les expériences pratiques de l’anarchisme
(autogestion des usines …) ont montré que finalement,
ce sont toujours les mêmes
qui n’ont pas d’intérêt à ce que ça
change : les gros puissants de tout bord qui jusque là
s’engraissaient sans gêne grâce à la force
militaire de l’armée (si celle-ci n’était pas
insoumise). Encore récemment en Argentine, les classes
moyennes sont descendues dans la rue participant à ce
que les médias ont appelé « crise »
(pour plus
de renseignements, voir la brochure sur l’utopie).
D’autre part, le discours des cités de réussite
sociale et d’ambition n’est que l’expression du malaise qui
y règne et la seule solution (évidemment, pas
la seule : il y a la révolution merde !) qui apparaît
à la misère. Que se passera-t-il le jour où
ces gens-là lutteront pour leur propre mieux-vivre ?
N’y a-t-il pas déjà un fort potentiel de révolte
dans les milieux les plus défavorisés ?
Il ne faut pas se tromper d’ennemi. Les gens
qui pensent encore que lécher le cul des politiciens
est une solution à long terme ne sont pas les plus durs
à convaincre qu’ils sont capables de décider par
et pour eux-mêmes. Quels sont les individus qui ont quelque
chose à perdre dans une société où
les décisions sont prises en commun, où chacun
travaille ce qu’il peut et récolte ce qu’il veut ; si
ce n’est ceux qui ne produisent rien et se goinfrent comme des
porcs !
7). Vous êtes-vous
déjà dit que votre combat était inutile
? (si oui, pourquoi ?) - [réponses d'une partie des JL].
Suzon : Personnellement
il m’est souvent arrivé de désespérer face
à l’inertie de la plupart des gens. Il y a des jours
où l’on se dit que c’est foutu, d’autres où on
est super motivés en raison d’une action qui a particulièrement
réussi, par exemple. Je ne suis pas madame soleil et
je ne sais pas si je verrais un système anarchiste de
mon vivant. D’ailleurs ici chacun a son idée sur la question,
sur si oui ou non les gens vont révolter spontanément
ou faudra t-il une catastrophe économique, etc, la réponse
dépend de notre opinion sur le genre humain et de notre
optimisme !
Ce que je sais, c’est que j’en ai assez de gâcher
ma jeunesse à nourrir des exploiteurs et que j’en ai
assez de voir tant d’injustices (avant tout le fait
qu’il y ait assez à manger sur terre pour tout le monde,
et que des enfants meurent de faim chaque minutes). Mon combat
je le fais avant tout pour moi, pour pouvoir vivre libre, et
si lorsque je mourrais je suis toujours enchaînée
au moins je mourrais digne, avec la fierté de pas avoir
baissé la tête, de pas avoir collaboré de
façon volontaire aux atrocités du capitalisme.
Si tous les gens qui ont lutté pour leurs libertés
s’étaient posé la question je pense qu’on serait
toujours avec un roi, des serfs, des esclaves, des colonies…
Cela semblait pourtant à l’époque immuable… On
a cramé les premiers athés par exemple, mais ces
gens là ont lutté pour eux même, et aujourd’hui
nous récoltons le fruit de cette lutte. Et pourtant à
la base ils n’étaient qu’une poignée de résistant
au tout-religieux (c’est d’ailleurs toujours le cas dans certains
pays !)
C’est pourquoi je conclurait qu’aucun combat pour la
liberté, fut-il désespéré, n’est
inutile.
H : Il nous arrive
à tous de douter de l’efficacité de notre action,
de son influence et de l’impact qu’elle a au sein de notre société.
Tout est fait pour nous dissuader de vouloir REELLEMENT changer
les choses, en profondeur ; tout est fait pour nous faire CROIRE
que sans chef, sans autorité et sans capitalisme, il
n’y a point de salut ; tout est fait pour nous décourager,
à coup de répression et de censure…
Mais il ne faut pas sous-estimer
notre rôle, les idées circulent vite. Par
delà les frontières et le temps.
Il ne faut pas lâcher prise
: le jour où on abandonne est le jour où ILS ont
gagné. Ca me ferait trop mal au cœur de les voir se réjouir
de notre défaite.
Plus largement, j’ajouterais que de nombreuses expériences
dans le monde et dans l’histoire prouvent qu’une
organisation autogestionnaire est viable (à une
échelle réduite, les JL en sont un infime exemple,
puisque cela fait 12 ans que le groupe fonctionne sur les mêmes
bases, à chaque renouvellement de génération).
Une chanson souligne un point très juste, je reproduis
ici ces quelques phrases : « pauvre utopiste, paraît
que t’aurais perdu le sens des réalités ; mais
lorsqu’ils commencent à te parler d’avenir : c’est à
se demander qui c’est qui plane le plus ! Pauvre fou, si tu
les crois t’as tout perdu, ne remets jamais tes rêves
en doute ; pauvre fou, si tu les crois t’es foutu, ne les laisse
pas tracer ta route… »
Vouloir, c’est POUVOIR
Il n’y a pas de petits gestes militants
T : Inutile, non mais
être découragée oui ; surtout quand on regarde
la société de merde qui nous entoure ! Non, ce
qui me désole surtout, c’est de voir les gens auxquels
je tiens le plus dans une merde noire : pas de thune, pas même
de survie… Mais, justement, réaliser à quel point
cette société est absurde, à quel point
elle gâche les gens, n’est-ce pas le premier pas vers
la révolte ?
Le combat, dès lors, apparaît une nécessité
collective mais aussi personnelle. S’organiser
en un groupe solidaire, dans la même lutte, pour un meilleur
futur, c’est sûrement le seul moyen de ne pas
se sentir inutile.
Z : Personnellement
non, car il est nécessaire, ne serait-ce que pour moi.
On vit dans un monde tellement pourrit que je ne supporterai
pas ne rien faire pour le changer. Il est vrai que l’on se pose
des questions par moment de l’efficacité des mots face
à un individu qui ne vit ou ne jure que par les médias
…un spécimen de l’ignorance quoi…
Mais finalement il faut bien se dire que le plus malheureux
dans l’histoire c’est bien lui et que peut être un jour
il se réveillera…
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