INTERVIEW DE GERARD: CRS
Dans notre grande saga «
une profession comme une autre » subventionnée
par le Ministère de l’Intérieur, nous allons nous
intéresser dans ce numéro à un métier
des plus dénigré : c’est ainsi que j’ai fait la
connaissance d’un homme – que dis-je: « un mâle,
un vrai » - qui a bien voulu répondre à
mes petites questions. Nous allons découvrir ensemble
le fabuleux monde méconnu des gardiens de la paix sociale,
ceux qui répondent aux dissidents et aux contestataires
à coup de Rangers dans la tronche. Je vous laisse maintenant
en compagnie de cet homme si aimable et sensible, j’ai nommé
: Gérard, CRS.
1). Bonjour Gégé, comment allez-vous ?
… Grumpf… Mouais (soufflement
quelques peu aviné dans mon nez).
2). … Heu… vous pouvez enlever votre casque ?!
Ah, pardon ! Excusez-moi,
je sors du service et je viens de casser du gris et du gaucho
: une manif’ dont certains se souviendront ! Arf arf !
3). Oui, et bien justement : pourquoi avoir choisi ce
métier ?
Bof. Mon oncle était
policier… Vous voulez un p’tit jaune ? (Gérard se sert
un Ricard plutôt bien chargé).
Et… enfin, c’est pas lui qui m’a incité à rentrer
dans la police mais c’était un dur lui, pas comme tous
les pédés qu’on trouve maintenant ! Les CRS, c’est
plutôt un hasard : la matraque et moi, c’est désormais
une longue histoire !
4). C’est donc
un choix personnel, une vocation presque ?
Oui, oui. C’est vrai
qu’on sort régulièrement le banal « faut
bien prendre le boulot où il est » avec le chômage
et tout le tralala, mais soyons sérieux : obéir
à des ordres toutes la journée et frapper sur
commande, faut aimer ça !
On a bien quelques jeunes qui arrivent et sont déstabilisés
par notre attitude de veaux, mais ils vont vite apprendre que
si le chef dit « rentrez-leur dedans », il faut
pas se poser de questions : on lève le bras et on frappe
mécaniquement, avec acharnement, sans sentiment. Car
si on discute, si on se met à réfléchir
et contester un ordre, c’est là où on se rend
compte de quel côté on est; et moi, ça me
plaît pas trop donc je préfère pas y penser.
5). Quelles sont
les types de « missions » qui vous branchent ?
Là où on
rigole bien, c’est dans les manifs préparées quatre
mois à l’avance, car les éternels rigolos qui
refusent de se disperser se font massacrer : on a le temps de
repérer parfaitement les lieux, on enlève toutes
les éventuelles « arme par destination »
à proximité de la manif’ (par exemple dans les
chantiers : bâtons, barres de fer, cailloux…), on bloque
tous les accès et sorties, on prend le temps de filmer
soigneusement tous les manifestants (la photo c’est dépassé),
on passe des accords avec les organisateurs (Attac, Ras l’front,
LCR…) pour décider d’un trajet qui amène droit
vers nous les fameux « éléments incontrôlables
» qui veulent autre chose que marcher encadrés
par la police… Un peu comme une souricière, quoi ! On
les accueille bien, tous ces hippies et bicots ! ( insultes
officielles, CRS ® )
6). Vous voulez
dire que « manifester » ne veut plus rien dire actuellement
? Que c’est du spectacle pur et simple ?
C’est clair ! Vous voulez
un petit jaune ? (Gérard remet ça). Là
où on est dépassés, et donc où c’est
dangereux pour l’ordre public (traduisez par ceux qui ont tout
à gagner de notre passivité, donc l’État
et les patrons), c’est quand l’émeute est spontanée,
que rien n’était prévu : pas de négociations
avec l’État, pas de « fin de manif’ »… bref,
une révolte qui vient du cœur et pas de la promenade.
Y'a aussi dans les banlieues, car ces p'tits jeunes sont tous
excités et incontrôlables : pas de partis ou d’associations
qui ont la main-mise sur eux et les manipulent ! Vous vous rendez
compte ?! Mais on s’en fout, ces cons crament la bagnole du
voisin qui est autant dans la merde, pas celle du riche qui
l’a volé…
7). Est-ce que
vous êtes fiers du métier que vous faîtes
?
Oui, bien sûr !
J’adore me balader avec Jean-Luc et Marcel (les deux co-équipiers
de Gérard : la dream-team, quoi !), matraque à
la main et talkie-walkie qui crépite…
C’est presque un rêve de gosse qui se réalise :
on est des cow-boys ! On chasse les méchants et on protège
la veuve et l’orphelin.
8). Quoi ? Votre
vision des choses est aussi simple que ça ? Il y a «
les bons » et « les méchants » ?! Mais
qui sont-ils ?
… Hé bé,
heu… (hésitation) Vous voulez un p’tit jaune ?… Bon,
comme vous voulez. (Gégé se donne du courage à
coup de Ricard pour vaincre son embrassement).
Les « méchants », c’est les… enfin, vous
voyez quoi ! Après, vous allez dire que je suis raciste…
Bon, et puis il y a aussi un bon moyen de détecter les
autres « méchants » en manif’, on nous l’apprend
en cours de « SGAC » : toutes les personnes qui
portent…
9). Le «
SGAC » ? Qu’est-ce que c’est ?
C’est le cours de «
Sales Gueules A Coffrer », tous les gauchistes dont les
têtes ne nous reviennent pas… Bon, alors on nous apprend
dans ces cours que les p’tits cons qui portent un keffieh sont
les méchants à interpeller (on les reconnaît
comme ça), et que les manifestants vêtus de T-shirts
politiques sont des ennemis à écraser.
Les « méchants », se sont aussi les clochards
et autres SDF qui traînent dans nos villes propres… Qui
donnent une mauvaise image du centre-ville…
10). Je comprends
: c’est honteux qu’ils soient condamnés à vivre
dans la rue et à crever de froid l’hiver…
Hein ? Vous plaisantez
?! Si tous ces sales pauvres pouvaient tous crever de froid,
ça nous débarrasserai ! Vous vous rendez compte
? Ils n’ont même pas d’argent pour consommer : à
quoi ils servent ? Ils puent, ils traînent dans NOS villes
et gênent les honnêtes gens qui font leurs courses
en centre-ville dans leur circulation sur le trottoir…
11). Je vois…
Si je vous suis, les « bons » sont donc les français
de souche qui ont du fric à jeter par les fenêtres
et peuvent donc CON-sommer, qui ne supportent pas de voir la
misère sur leurs beaux trottoirs tous propres du centre-ville
?
Vous exagérez
! Les « bons », ce sont aussi et surtout les honnêtes
travailleurs qui n’ont aucune réflexion politique et
ne se plaignent pas en manif’ tout le temps : le bon ne pleurniche
pas et va voter tous les 5 ans, il n’hésite pas à
dénoncer ses voisins et connaissances quand elles sont
hors-la-loi…
12). En bref,
c’est un mouton passif et résigné qui est plus
un gardien de l’Etat qu’une menace.
Pourquoi ? Vous avez
quelque chose à vous reprocher ? Pourquoi toutes ces
questions ? Et pourquoi vous contestez mes propos ? Et pourquoi
vouloir…
13). Heu… Calmez-vous…
Tiens, je vais vous raconter une p’tite blague pour détendre
l’atmosphère.
Ahhh ! Une blague : ça
se fête ! Vous voulez un p’tit jaune ? (triple Ricard
pour Gégé qui s’amuse comme il peut). J’en connais
des tas sur les blondes !
14). Heu… c’est
pas dans le même registre, mais enfin… Alors c’es en Mai
68 : les grévistes et étudiants sont face aux
CRS qui les bloquent. Le cortège entonne le désormais
célèbre « CRS : SS ! ». Et là,
aux CRS de clamer tout contents : « Etudiants, diants,
diants » !
… (sourire bêta
de Gérard qui me regarde hagard, du genre « continue
ta blague », laissant place à un froncement de
sourcil) Quoi ? J’ai rien compris.
15). Bon, j’aurais
du me douter que cette blague était de la philo pour
vous… Passons à autre chose : le boulot, c’est la santé
?
Ah, ça, vous pouvez
le dire ! Faut avouer qu’on n’est pas des lopettes nous ! Tous
les matins à la caserne, c’est 100 pompes à la
suite et entraînement au maniement du tonfa. C’est génial
car on a reçu plein de nouveaux joujoux : entre le Flash-Ball,
la nouvelle matraque qui a été spécialement
importée des USA pour Gênes (déchire la
peau et casse les os), la combinaison plus légère/
dans laquelle on peut parfaitement se mouvoir (et ininflammable,
s’il vous plaît !), y’a de quoi bien se marrer. Mais ça
fait pas rigoler tout le monde… aucun humour ces cons-là.
16). Mais avouez que se prendre des lacrymos dans la
tronche à chaque fois que l’on sort dans la rue, c’est
assez lassant et c’est d’assez mauvais goût…
Pardon ? Nous, c’est
tous les jours qu’on y a droit ! Après l’apéro,
on fait des concours ! Concours qui le plus souvent consiste
à résister le plus longtemps aux lacrymogènes
: le dernier qui reste dans le nuage de gaz sans masque et en
T-shirt a gagné. Et après la demi-journée
d’infirmerie qu’il se tape, on fête ça ! Vous voulez
un petit jaune ? Bon… Mais y’a pas que ça : on fait aussi
des concours à l’apéro, des concours de hippies
détruits en manif’, des concours de pets, des concours
de verres de rouge au repas, des concours de…
17). OK, c’est
bon… Et bien, on va se quitter ici Gégé : vous
voulez ajouter quelque chose ?
… Heu… non. Si ! Deux
choses : Robert et Martin, je vous prends à l’apéro
: concours ! Et Ginette, tu vas voir ce soir : je suis en forme
donc t’as intérêt à avoir préparé
la bouffe quand je rentrerai car tu vas passer à la casserole.
Arf arf…
Halala… comme
quoi, sous cet air de brute stupide, se cache une âme
de poète sensible et raffiné !
A bientôt Gégé,
see you on the barricades…