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VARIATION SUR LE THEME DE L'EDUCATION NATIONALE


Voici quelques années, alors que je n'étais que collégien, la professeur de français nous donna à lire un texte merveilleux, où il était raconté - sur un mode lacrymal auto-apitoyé - comment un bon élève, premier de sa classe, dut quitter ses chères études sous la pression de son père, celui-ci était paysan de son état, et voulait l'employer désormais aux travaux des champs. C'était drôlement émouvant. J'ai cru remarquer, parmi mes petits camarades comme une admiration pour ce père modèle, car les collégiens studieux et amoureux de l'école n'étaient pas légion dans leurs rangs, loin s'en faut. Pour ma part, j'avoue que l'intérêt de ce texte m'avait échappé à l'époque.
Cependant, la semaine suivante, cette même prof de français nous annonça un "contrôle de connaissances" portant sur ledit texte. II s'agissait en fait d'une rédaction dans laquelle il fallait imaginer le dialogue entre ce père-paysan et le professeur principal de l'élève avec pour consigne: "Imaginez le professeur demandant au Papa pourquoi il veut retirer son fils de l'école."
Mes copains s'en sont donnés à cœur joie, sublimant qui le paysan, qui le professeur, en défenseur de l'enfance. Pour ma part, j'ai fait un splendide hors-sujet, portant le débat sur une question botanique. Le regret de ne pas avoir compris l'envergure d'un tel devoir me ronge encore, et c'est pourquoi je vais le recommencer, en trois versions différentes, suivant trois variantes classiques du paysan et du professeur.
Or doncques, voici la première version:

L'action se déroule dans une salle de classe quelconque du collège. Il convient d'imaginer le professeur âgé et grisonnant, auréolé de la sagesse de l'homme instruit du vingtième siècle. Le paysan, la cinquantaine primaire, est assis en face de lui.
Le professeur (Prenant la parole d'un air désapprobateur.): Monsieur Gandois, j'ai appris avec stupeur et regret que vous vouliez retirer le petit Jean-Christian du collège.
Le paysan : Ouais.
Le prof (prenant soudain une grande inspiration): Il va falloir réviser votre jugement, Monsieur, en fonction du fait que votre fils est l'un des éléments les plus brillants de la classe.
Le paysan : Quoi?
Le prof : Je veux dire: si votre fils est aussi brillant à l'école et si prometteur, il pourra sans doute espérer une carrière intéressante: il serait dommage qu'il ne puisse continuer.
Le paysan : Ah ouais?
Le prof: Certes.
Le paysan: Je comprend rien à ce que vous clapissez. J'ai besoin de Jean-Chris pour travailler aux champs. Faut rentabiliser c'gamin. Déjà qu'y coûte beaucoup, j'vais pas lui payer des études à cent francs l'année.
Le prof: Euh... Et bien, si toi y'en a payer études à ton fils maintenant, lui y'en a ramener thune plus tard...
Le paysan : Rien me dit qu'il réussira. Rien me dit qu'il partagera s'il réussit et qu'il en a.
Le prof (Sorti de ses gonds): Microcéphale! Primaire! Harpagon! SORTEZ, vous et vos histoires de fric! (Fin de la première version)

Cette première version montre un devoir scolaire assez bon (allant dans le sens du prof). Elle aurait pu se passer au début du siècle, quand on croyait encore à l'éducation nationale.
Voici cher lecteur, la deuxième variation sur ce même dialogue:

Imaginez le même professeur que tout à l'heure, en aviné. II rencontre le paysan au café du village.
Le prof: Alors pépé? On veut plus mettre son lardon à l'école? Qu'est ce que c'est que ce travail?
Le paysan : Vous avez encore bu. C'est pourquoi je ne me fatiguerai pas les neurones à vous donner des explications.
Le prof: Écoute pépé, l'école c'est le début de tout. Ca rend intelligent, et ensuite, après, quand on a réussi les études et qu'on a plein de diplôme, on se fait des monceaux de pognon. Et vous voulez l'enlever, alors qu'il est vachement prometteur, hein? Vous embêtez pas avec! Vous voulez des gosses cons et disciplinés, donc pas chiants, foutez les à l'école! (Il rote.)
Le paysan : Je ne ... Pfff, avec un poivrot pareil, ils n'iront pas loin, nos gosses. Et comment osez vous me demander pourquoi j'ai enlevé Jean-Christian de ce collège, où on retrouve les professeurs dans les bars après les cours, en train de se saouler.
Le prof :(pour lui) L'éducation nationale est un vaste bordel. Avec leur structure à la con, les heures de cours à des moments impossibles de la journée, et des directeurs qui cachent à peine leur sympathie pour l'extrême droite. Avec des gosses qui sont pour la plupart caractériels, déprimés ou simplement débiles.
Les profs qui ne boivent pas ont soit un caractère en acier trempé digne d'un légionnaire, soit des tendances carrément psychotiques. Ne parlons pas du contenu des cours aseptisé, des locaux minables et dix fois trop petits, des classes surchargées, ou encore des méthodes d'enseignement à peine moins dirigistes qu'à l'armée et dont le dialogue est de toute façon exclu, ainsi d'ailleurs que la réflexion. (Il a un haut le cœur)
Du par-coeur, voilà ce que veut l'éducation nationale! Voilà ce que veut la république! Des ignorants qui se posent pas de question, et qui obéissent, s'il vous plait! (il vomit derrière le bar.)
Le paysan : Je crois que Jean-christophe est mieux à la maison.
Le prof: Nous sommes d'accord.
(Ils trinquent et se saoulent la gueule jusque tard dans la soirée.)

Ce dialogue est de loin le plus réaliste des trois.
Voici une troisième et dernière version de ce fabuleux devoir:

Le décor de ce dernier dialogue est le bungalow du professeur, quelque part en Afrique noire. Celui-ci, confortablement calé dans un fauteuil en cuir d'éléphant, est coiffé d'un casque colonial. Un grand bureau d'acajou le sépare du paysan, un cultivateur de bananes qui exploite la moitié de la population indigène des environs.
Le prof: (terminant un Havane.) Monsieur Gandois, je ne comprends pas pourquoi vous voulez retirer Jean-christian de mon établissement. Quelle est cette sombre histoire de récolte de bananes? Vous avez suffisamment de main d'œuvre, bon marché puisqu'ils n'ont pas besoin d'être payés, pour la récolte de ce mois-ci.
Le paysan : (Se servant un double Whisky que vient d'apporter le boy) Monsieur, vous l'avez deviné, le problème ne vient pas de là.
Le prof: Je ne comprends pas … Vous êtes en mesure de payer les 3000 frs de frais mensuels de scolarité, les professeurs sont les meilleurs d'Europe... Vous ne voulez tout de même pas l'inscrire à l'école publique!
Le paysan : Ne me faites pas l'injure de le supposer. Non, ce n'est pas ça.
Le prof: Si c'est pour la question de sécurité de nos chers pupilles, je vous rappelle que cinq gendarmes sont en permanences présents dans et autour du collège. Les dealers, proxénètes, racketteurs et autres truands qui fréquente l'éducation nationale ne font partie de notre univers.
Le paysan: Allons droit au but. C'est à cause du petit Isaac Raout que je veux retirer mon fils. Chez nous, on ne tolère pas ce genre de fréquentation.
Le prof: Je vous comprends, mais nous ne pouvons rien faire; il est de nationalité française et s'est acquitté des droits d'inscriptions. Notre pays s'efforce encore de maintenir une façade démocratique. Les professeurs ont beau le sacquer, ses parents persistent à vouloir le mettre ici.
Le paysan: Dans ce cas, je retire Jean-Christian de cet établissement. (Il sort)
Le professeur, fou furieux, prend un nerf-de-boeuf dans l'armoire et se dirige vers la salle de classe où étudie Isaac Ben Raout.

Cette version pourrait se dérouler dans un futur proche...
On peut infiniment varier ce thème, avec par exemple un prof déprimé contre un paysan alcoolique, un adjudant et un appelé, un éducateur spécialisé avec le père mal comprenant d'un enfant incompris. Il convient, bien entendu, de regarder ce texte avec l'œil averti du professeur de français. Si vous comptez plus de soixante fautes dans ces trois textes, collez-moi zéro.

L'homme qui s'appelait Tourat

Paru dans le numero 10 du journal des JL "Il était une fois la révolution, con!"